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24 juin 2013 1 24 /06 /juin /2013 16:51
Bron/Broen (Saison 1)

Crossing the bridge

A la frontière entre la Suède et le Danemark, au beau milieu d'un pont, est retrouvé le corps d'une femme, vraisemblablement assassinée. Les polices suédoises et danoises sont alors dépêchées sur les lieux. Mais l'affaire prend une tournure particulièrement glauque et étonnante lorsque les enquêteurs découvrent qu'il ne s'agit pas d'un seul mais de deux cadavres, coupés en deux à la taille, qui ont été assemblés pour n'en faire qu'un...

Pourquoi vous parler de Bron/Broen, série suédo-danoise (ou dano-suédoise) datant de 2011? Parce que c’est l’un des meilleurs polars de ces dernières années, que les séries scandinaves ont le vent en poupe (Real Humans, Borgen, The Killing…) et qu’il n’y a pas moins de deux remakes prévus dans les prochains mois, The Bridge (US) sur FX et Le Tunnel sur Canal+. Alors, pour vous convaincre de plonger dans les langues nordiques (School ofen struh ?), voici cinq bonnes raisons de ne pas attendre qu’Arte diffuse la série après le succès de ses resucées.

1-Suède/Danemark : si loin si proche

Si comme moi vous pensiez que le Danemark était une extension des Pays-Bas beaucoup plus proche de la Norvège que de la Suède, Bron/Broen va vous aider à y voir plus clair. Le fameux pont au-dessus de la Mer Baltique, élément central et véritable axe de symétrie de l’intrigue, vous forcera à jeter un coup d’œil sur Google Maps pour vous rendre compte qu’il permet de relier Copenhague (Danemark) à Malmö (Suède) en seulement quarante minutes en train ou en voiture (intéressant non?). D’où la collaboration policière et les nombreux allers-retours entre les deux pays. De même, vous découvrirez que les deux langues se ressemblent beaucoup, comme l’indique le titre (Bron et Broen signifient Pont dans les deux dialectes scandinaves). Or l’un des points forts de la série réside justement dans le contraste saisissant entre cette proximité géographique et linguistique et les différences socioculturelles entre les deux pays. En gros, les Danois sont fainéants, négligés et truqueurs tandis que les Suédois sont travailleurs, efficaces et intègres. Cette guéguerre de voisinage classique, reposant sur des poncifs et préjugés folkloriques, sert de contre-point humoristique idéal à cette enquête particulièrement glauque et nous rappelle le personnage du médecin suédois de la série culte de Lars Von Trier, L’Hôpital et ses fantômes, obligé de travailler à Copenhague, et qui monte régulièrement sur le toit de l’hôpital pour apercevoir les côtes de son pays chéri et hurler au ciel « Danois de merde! ».

Bron/Broen (Saison 1)

2-Un puzzle géant

Pour les téléspectateurs étrangers que nous sommes, la série s’apparente tout d’abord à un puzzle géographique. Il faut faire un petit effort dans les premiers épisodes pour distinguer les scènes danoises des scènes suédoises et remettre les différents personnages dans les bonnes cases, de part et d’autre du pont. Le montage, abrupte et sans transition, ne nous y aide pas et c’est tant mieux. Puis la figure du puzzle contamine rapidement le récit. Les personnages et les situations relatives à chacun sont autant de pièces que les deux enquêteurs devront agencer correctement pour avoir le tableau final et démasquer son auteur. Jusqu’ici rien de nouveau, c’est le b.a.-ba de tout bon polar. L’originalité, à mon sens, vient du fait que l’on fournit au téléspectateur une nouvelle pièce par épisode (il s’agit souvent d’un nouveau personnage), pièce qui ne s’insèrera dans l’enquête que dans le ou les épisodes suivants. Pour résumer, nous avons toujours un train de retard sur le tueur mais presque toujours un d’avance sur les flics. Cette différence de niveau est ludique et très stimulante. Nous ne sommes jamais passifs.

3-Un serial killer moralisateur

On retrouve chez le tueur en série de Bron/Broen la figure du serial killer « à la Seven », pour notre plus grand plaisir. Il y a d’ailleurs plusieurs scènes, et pas des moindres, qui font écho au célèbre film de David Fincher mais que je tairai ici pour ne pas gâcher le vôtre, de plaisir. On peut en revanche évoquer la réciprocité flagrante de la motivation des deux tueurs en question: le meurtre comme mise en scène de la faillite morale de l’homme contemporain. Si dans le film, John Doe créait une sorte d’œuvre pieuse symbolique isolée mais censée rester dans l’Histoire, le meurtrier de la série profite au contraire de l’immédiateté des moyens de communication (journalistes, réseaux sociaux) pour devenir, peut-être malgré lui, une sorte de justicier moderne auprès de l’opinion publique. Une sorte d’Anonymous, altermondialiste, anticapitaliste qui dit tout haut etc. Vous connaissez cette rengaine qui, dans la bouche fétide de certains, a des relents nauséabonds. Mais dans les deux cas, ce souhait d’un retour à l’ordre moral reste illusoire. Il s’appuie sur les faiblesses naturelles de l’homme – la majorité des personnages, comme nous tous, est coupable de quelque chose – et ne fait que pointer au final la propre faiblesse du tueur (égoïsme, jalousie..Envie). C’est là que ces deux cousins de fiction se rejoignent à nouveau.

Générique de la série (très belle musique au passage)

4-Un couple de flics attachant

Pour faire un bon polar, il faut aussi des personnages principaux atypiques et attachants. Le duo d’enquêteurs de Bron/Broen est formidable. Bien entendu tout les oppose, selon le principe symétrique évoqué plus haut. Lui est un flic danois fatigué, quadra désabusé n’hésitant pas à enfreindre les règles. Sa douleur aigüe à l’entrejambe, consécutive à une récente vasectomie, l’inscrit de manière drôle et originale dans la lignée des grands flics physiquement diminués, de Jack Nicholson et son nez fendu dans Chinatown à Brad Pitt et son bras plâtré dans…Seven, en passant par Frances McDormand et sa grossesse dans Fargo. Son interprète, Kim Bodnia, déjà génial dans le premier (et meilleur des trois) Pusher de Nicolas Winding Refn, dégage une sorte de fragilité bourrue grâce à son corps massif adouci par un regard d’une profonde humanité et son phrasé laconique souvent ponctué d’un bref rire sardonique impressionnant. Face à ce personnage « castré », on retrouve évidemment une femme forte. Sofia Helin joue ainsi une enquêtrice suédoise surdouée, ultra réglo, très efficace mais souffrant d’un manque d’empathie depuis la mort de sa sœur. Ne ressentant aucune émotion et prenant tout au pied de la lettre, elle devient alors l’archétype de l’être humain souhaité par le tueur, à savoir une sorte d’hubot docile sorti de Real Humans. Son innocence et sa pureté sont le résultat de son manque d’humanité. Très belle idée parfaitement exploitée. La collaboration entre les deux flics, d’abord incongrue et drôle, évoluera de manière fine et magistrale vers une amitié touchante.

5-Un concept universel

Vous l’aurez compris, les qualités de cette série ne se limitent pas à son intrigue, aussi brillante soit-elle. Elles dépassent même son cadre géographique. Le concept de l’entraide policière entre deux pays voisins peut facilement s’exporter. De même que le choc des cultures, l’immoralité et les inégalités des sociétés en question et donc les crimes symboliques du tueur. Après tout, il n’y a pas qu’au Royaume du Danemark que l’on trouve quelque chose de pourri. Tout l’enjeu pour les remakes sera bien sûr de transposer ces thèmes selon les préoccupations sociétales des deux pays choisis, sans que cela ne verse dans la caricature. Pour la version US, entre les Etats-Unis (Texas) et le Mexique, on devine que l’immigration et le trafic de drogue seront mis en avant. Pour la version Canal, a priori entre Londres et Paris (le pont devient tunnel), on suppose une opposition culturelle s’appuyant sur l’éternel bashing entre la France et l’Angleterre. Quoi qu’il en soit, la richesse du concept devrait nous permettre de profiter des remakes même en connaissant une grande partie de l’intrigue. Sauf si on se fiche de nous et que tout est raté de A à Z. Mais en tous cas le potentiel est là. Conclusion : vous pouvez regarder Bron/Broen en toute tranquillité, cela ne vous gâchera pas les remakes. En théorie. Si c’est le cas, ou si ces derniers sont vraiment mauvais, vous pourrez toujours jouer les snobs en disant que vous préfériez la version originale et attendrez avec impatience sa saison 2 prévue cette année.

La Note: 4.5/5

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commentaires

S
Pour ceux qui n'ont pas vu la série, quelques petits spoilers, pour appuyer mon commentaire.<br /> <br /> Très bon article. J'ai vu la série et je suis complètement d'accord. <br /> Sauf pour une chose.<br /> <br /> La description de Saga n'est pas complètement juste. Du moins, ce qui est autre que son travail. Il n'est pas vrai du tout qu'elle ne ressent aucune émotion (voir la scène avec son patron dans l'épisode 9). Tout au contraire. Elle ressent les choses, mais les ressent et les expriment différemment. Elle a aussi une logique qui n'est pas celle de tout le monde et qui peut dérouter. Tout simplement. L'empathie n'est pas son fort, mais ce n'est pas forcément évident quand on ne ressent pas les choses come la plupart des gens.<br /> Saga n'est absolument pas une sorte de &quot;hubot&quot;, sans humanité. <br /> <br /> Comment réagirait-on si les gens autour de nous se désintéressaient de nous parce qu'on pense et réagit différemment? <br /> Voir la scène de la pause café, où ses collègues, qui par ailleurs ne remettent jamais ses compétences ni son autorité en question, arrêtent net de parler quand elle décide de s'asseoir avec eux? Personne ne prend la peine de l'intégrer à leur conversation. <br /> Voir la scène de l'hôpital quand elle va voir Martin et qu'il lui demande comment elle va? Elle est toute surprise que quelqu'un lui pose la question.<br /> <br /> Il n'y a que Martin qui va au-delà de la première impression et ne s'arrête pas de lui parler après un &quot;oui&quot; bref, ou une réponse/réaction à laquelle il ne s'attend pas. Et de ce fait il a devant lui une personne qui est différente de la Saga que la plupart des gens voient habituellement.
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