Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 septembre 2013 1 30 /09 /septembre /2013 15:29
Breaking Bad (Final)

It's all over now, baby blue (Bob Dylan)

La Note: 5/5

Non, il n’y a pas eu de larmes. Juste le cœur un peu plus lourd qu’à l’accoutumée et un spleen grignotant nos entrailles et contrariant la digestion d’un petit déjeuner vite avalé au début de cette morne matinée. Aujourd’hui Breaking Bad s’en est allé dignement, nous livrant un épisode final à la hauteur de l’ensemble de la série et rejoignant ainsi Six Feet Under et The Wire au panthéon des œuvres télévisuelles les plus marquantes de l’histoire. J’ai presque écrit le mot « télévisuelles » à contrecœur, tant l’aura et l’impact de cette fiction dépassent les notions de cadre et de support. Ce n’est pas de la télé, ce n’est pas du cinéma, c’est quelque part à la frontière entre les deux, dans un endroit pour le moment aussi désert que le Nouveau Mexique au sein duquel les recherches esthétiques, l’audace scénaristique, l’étude des profondeurs psychologiques et les réflexions philosophiques et morales sont possibles. En six ans, patiemment, grâce à un travail d’orfèvre époustouflant, le chef-d’œuvre de Vince Gilligan aura changé la donne, à l’instar des séries précédemment citées.

Breaking Bad (Final)

Ce final déchirant ne se réduit pas à ce dernier épisode. Le compte à rebours était lancé depuis l’épisode 13 et la photo d’un baril rempli de billets reçue dans le Lav’Auto de Walter et Skyler. A partir de là, toute la mécanique implacable mise en place depuis des années s’est emballée, broyant tout sur son passage. Tout ce à quoi nous nous attendions s’est réalisé. Comme dans les tragédies classiques, le fatum a dirigé les personnages vers l’inéluctable, en prenant des chemins sinueux mais en s’appuyant clairement sur l’ironie du sort et l’absurdité de notre condition humaine, deux des piliers fondamentaux de la série. Et c’est parce qu’il est sans surprise que ce final est beau. Il était impensable que Jessie meurt, il était évident que l’infâme Todd et les néo-nazis allaient y passer et il était entendu que le dernier plan nous montrerait la mort de Walter. Le seul point d’interrogation concernait Hank mais la question fut vite réglée. Les codes de la tragédie ont donc été respectés : il ne s’agissait pas de savoir quelle serait la fin mais bel et bien comment les personnages allaient y parvenir.

Breaking Bad (Final)

Rarement la progression d’un récit n’aura été aussi savamment agencée. Tous les événements et les éléments clés des saisons passées ont été convoqués pour s’unir les uns avec les autres afin d’élaborer ce final. Tout fait sens pour expliquer, en plus d’épouser, la fuite en avant de Walter jusqu’à cette phrase clé, à la fois désarmante et dévastatrice, prononcée par ce dernier à Skyler : « I was alive ». Toute la série repose sur ces trois mots. Enfin le mensonge qu’étaient devenues les motivations familiales initiales part en fumée. Enfin le Walter White grotesque en slip blanc reconnaît avoir pris goût à son Heisenberg au chapeau noir mythique. Enfin il avoue que la revanche sur ses amis fortunés était au fond son seul moteur. L’évolution de ce personnage n’en finira pas de nous fasciner car elle s’inscrit bien au-delà du simple rapport binaire empathie/antipathie. Nous sommes plus dans l’appréhension et la compréhension. En ce qui me concerne, Walter n’a jamais cessé d’être une victime. Victime d’une pulsion de vie tardive enfantée par la peur de la mort. Victime du réveil de son ego dû aux méfaits de l’individualisme et d’un enrichissement ironiquement calqué sur le rêve américain, la réussite personnelle du self made man, elle-même provenant du modèle des pionniers et de la ruée vers l’or (le cristal meth étant ici l’or moderne). En fait Walter est victime d’être humain, chose qu’il n’avait peut-être jamais ressentie en un demi-siècle d’existence. Qui peut l’en blâmer ?

Breaking Bad (Final)

L’ironie existentielle qui innerve toute la série se retrouve bien sûr dans cette conclusion. Alors que plusieurs personnages l’incitent au suicide, Walt souhaite être tué par Jesse, son fils spirituel, comme pour boucler cette magnifique relation œdipienne. Mais c’est bien un suicide, indirect, qui causera sa perte. Ultime clin d’œil du destin à l’issue d’un assaut final aux allures de western, genre le plus convoqué, et modernisé, tout au long de ces cinq saisons. On a d’ailleurs pu savourer durant ces derniers épisodes des moments de bravoure dignes de Sergio Leone chez qui tout était affaire de rythme et de tension basés sur des détails. C’est par exemple le « duel » Hank/Walt, avec l’ouverture et la fermeture de la porte de garage, les téléphones «dégainés » pour appeler Skyler et le bourdonnement d’une voiture téléguidée à la place de celui des mouches de Charles Bronson. C’est aussi l’alarme de voiture, quand Junior refuse de mettre sa ceinture, qui devient une véritable menace métronomique du destin tragique en marche. La liste est longue et j’en ferais peut-être l’inventaire un jour. En attendant, nous ne pouvons que remercier Vince Gilligan, ses interprètes, ses auteurs et tous ceux qui ont participé, de nous avoir offert une œuvre qui nous marquera à vie, en plus d’un mètre-étalon pour toutes les séries ayant l’ambition de nous marquer dans le futur.

Partager cet article
Repost0

commentaires